Par Pierre de Boucherville pdeb@ddpqc.ca

Le ministre des Finances du Canada Bill Morneau attaque les professionnels en proposant des changements importants à la Loi sur les impôts qui, s’ils sont adoptés, auront de forts impacts négatifs sur la capacité des entrepreneurs et professionnels qui font affaires au sein d’une société par actions privée.

Les changements proposés, en date du 18 juillet dernier, nous apparaissant non seulement foncièrement injustes, mais aussi mal fondés.

Pourquoi remettre en question des mesures adoptées en 1972, suite à une vaste consultation du public, par des mesures soumises en catimini, au milieu de l’été, si ce n’est que pour tenter d’éviter une remise en question inévitable d’un texte mal ficelé ayant comme seul objectif clair de renflouer sur le dos des contribuables, une fois de plus, les coffres d’un État trop gourmand et incapable de gérer adéquatement ses ressources?

De nombreuses voix s’élèvent contre les mesures proposées : tous les entrepreneurs et professionnels utilisant une société par actions risquent de perdre beaucoup.

Nous vous rappelons les trois changements proposés par le gouvernement.

Le premier changement proposé concerne l’imposition des gains en capital réalisés par les sociétés par actions privées. Le ministre Morneau veut limiter la possibilité de profiter de plus d’une seule exemption personnelle sur les gains en capital, qui est présentement de 835 716$ par personne (actionnaire de la société). La règle permet actuellement à un entrepreneur ou à un professionnel et à des membres de sa famille actionnaires de la société de sauver plusieurs centaines de milliers de dollars lors de la vente de son entreprise en multipliant l’application de l’exemption personnelle sur les gains en capital. Est-ce si déraisonnable de permettre à un contribuable qui a bâti son entreprise de conserver la majeure partie de son prix de vente, ce qui représente très souvent le seul fond de pension de cet entrepreneur, qui paiera par la suite des impôts sur les intérêts qu’il percevra à titre de pension? Le gouvernement veut-il à tout prix décourager toute prise de risque et d’entrepreneuriat?

Le second concerne l’imposition de sommes conservées par une société en investissements passifs, qui représentent souvent soit le fond de pension qu’un professionnel réussit à mettre de côté en prévision de ses vieux jours ou encore des réserves en prévision de dépenses futures ou de ralentissement des affaires. Les sommes qu’un professionnel investirait à titre de fond de pension (peut-on le blâmer ? Tous les gens ne bénéficient pas de généreuses pensions gouvernementales faut-il rappeler au ministre Morneau et à ses fonctionnaires) seront imposées au taux applicable aux particuliers quand elles seront retirées de la société par actions.

Enfin, le troisième changement proposé concerne la possibilité de répartir des revenus à des membres de la famille du propriétaire, ce qui présentement peut être fait sans trop de problèmes, mais qui deviendrait beaucoup plus difficile ou impossible dans certains cas. Mentionnons que de nombreux entrepreneurs et professionnels ont réussi à bâtir leur entreprise en raison du soutien indéfectible et de nombreux sacrifices de leur conjoint(e) et souvent de leur(s) enfants aussi. Il ne s’agit donc pas d’une simple entourloupette fiscale pour permettre aux riches de payer moins d’impôts.

Le gouvernement tente de justifier ces changements en affirmant qu’il s’agit d’éliminer des échappatoires et de rendre plus juste la situation d’un salarié en comparaison avec celle d’un professionnel ou entrepreneur, qui, actuellement, bénéficie de la possibilité d’épargner, au sein d’une société par actions canadienne privée, plus rapidement qu’un simple salarié ne peut le faire, en raison du report d’impôts.

Le gouvernement invoque donc un désir de mettre à égalité un salarié et un entrepreneur, un professionnel qui a créé sa propre entreprise. Est-ce qu’un employé prend des risques? Doit-il emprunter, parfois en mettant tout son capital (et souvent celui de sa famille), et plus, en danger? Est-ce qu’un employé créé des emplois, et doit tenter de faire survivre son entreprise lors des bonnes et des mauvaises années? Un employé, reçoit, pour sa part, un salaire, des avantages sociaux, et parfois un fond de pension auquel son employeur contribue, alors que ce dernier, pour sa part, doit constituer son propre fond de pension, et ne reçoit aucun bénéfice marginal. Et le gouvernement voudrait maintenant imposer davantage (jusqu’à 73%!) les sommes mises de côté dans une société par actions, qui peuvent soit servir de fond de pension pour un entrepreneur, ou encore simplement de fond de prévoyance en cas de période difficile, ou pour autre chose encore…

Le ministre Morneau ne semble pas vouloir considérer le fait qu’en affaires, les choses ne vont pas toujours en s’améliorant, et que constituer des réserves, si on en a la chance, s’avère prudent et loin d’être un avantage déloyal que possède un entrepreneur sur un salarié!

Les questions fiscales découragent souvent la lecture…C’est pourquoi, nous croyons que le plus utile que nous puissions ajouter au débat est de vous recommander de faire entendre votre voix contre les mesures proposées. Pour mieux vous faire votre propre idée de la gravité de la situation, nous vous proposons quatre textes choisis qui éclairent à merveille le débat.

Un premier article mérite d’être lu, surtout si vous ne choisissez que d’en lire un seul.
Il s’agit d’une entrevue avec une dentiste, qui souligne l’impact négatif des mesures proposées pour les femmes entrepreneurs. L’article de Joseph Tunney, de CBC News, est paru le 21 août dernier et s’intitule : «I’m back in the 1950s’: Saint John dentist says proposed tax changes punish women». Le lien pour lire cet article est le suivant : http://www.cbc.ca/news/canada/new-brunswick/saint-john-dentist-says-tax-changes-punishes-women-1.4253661

Pour une analyse plus détaillée de la question, nous vous suggérons de lire le commentaire d’Allan Lanthier, un expert en matière de fiscalité, paru dans le Financial Post du 3 août dernier, intitulé : «Morneau turns to class warfare to justify a massive attack on high earners», et dont voici un extrait :

The proposal arguably extends well beyond any legitimate policy concerns, and is also at odds with international standards.

Lien pour le commentaire d’Allan Lanthier:
http://business.financialpost.com/opinion/allan-lanthier-morneau-turns-to-class-warfare-to-justify-a-massive-attack-on-high-earners/wcm/46fd67e6-50a6-4f7a-817f-193922f15085 )

Un troisième texte qui cerne bien les enjeux en question est celui d’André Picard, intitulé : «Ottawa’s new tax measures unfairly target many doctors » et publié dans le Globe and Mail du 1er août dernier et que vous pouvez retrouver au lien suivant :
https://beta.theglobeandmail.com/opinion/ottawas-new-tax-measures-unfairly-target-many-ddoctors/article35843365/?ref=http://www.theglobeandmail.com&
M. Picard y explique en termes clairs que non seulement les médecins, mais tous les professionnels ou entrepreneurs utilisant une société par actions pour leurs affaires se voient visés, et ce injustement, par les changements législatifs proposés par Bill Morneau.

Un dernier texte éclaire encore davantage le débat et mérite d’être lu pour se faire une opinion en profondeur. Un avocat fiscaliste de plus de 40 ans d’expérience, Robert Raich, a publié son opinion sur la question. Il décortique brillamment les éléments du débat, et permet de bien cerner les véritables enjeux de la situation.
Vous pouvez retrouver son texte au lien suivant : http://www.spiegelsohmer.com/en/2017/08/01/reaction-of-robert-raich-to-proposed-federal-tax-changes-announced-on-july-18-2017/

Il est dans votre intérêt d’agir afin de tenter de bloquer cette réforme mal conçue, injuste, et qui risque grandement de nuire à l’économie canadienne en décourageant le démarrage d’entreprises et en favorisant un nouvel exode des cerveaux vers des cieux fiscalement plus cléments.

Vous pouvez utiliser le lien suivant pour laisser connaître votre opinion au gouvernement fédéral :
http://www.fin.gc.ca/activty/consult/tppc-pfsp-fra.asp

Nous vous suggérons aussi de contacter votre député, votre ordre professionnel, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, votre Chambre de commerce, vos associations professionnelles, vos collègues et amis…Pour leur suggérer de protester.