Pierre de Boucherville, avocat pdeb@ddpqc.ca

Le contrat de travail existe donc pour constater l’existence d’une relation.

De quel type de relation s’agit-il ? Une relation plutôt personnelle, intime, ou davantage corporative et impersonnelle ? Est-ce que le cabinet choisi est indépendant, bien établi, et offre des services à une clientèle familiale qui apprécie la disponibilité et la compétence du dentiste propriétaire qui connaît tout le monde et qui est présent tous les jours ? Ou s’agit-il de joindre une chaîne de plusieurs cabinets au sein de laquelle les propriétaires sont plutôt occupés au siège social et que les dentistes opérant en cabinet changent souvent de succursale, ne pouvant ainsi développer des relations serrées avec le personnel et les patients?

Il sera souvent plus aisé de négocier les termes et conditions avec un propriétaire indépendant, plus flexible, qu’avec une société liée par un cadre corporatif strict, bien établi et fort probablement plus sévère afin de protéger les intérêts des multiples actionnaires.

Un exemple de cette situation peut consister en la portée territoriale d’une clause de non-concurrence qui sera beaucoup plus large dans le cas d’une société opérant plusieurs établissements que dans le cas d’un seul cabinet.

Ainsi, prenons l’exemple d’un cabinet indépendant situé dans une petite ville de banlieue. Une clause de non-concurrence, visant à protéger de manière raisonnable le dentiste propriétaire d’une concurrence déloyale que pourrait lui faire un dentiste associé quittant le cabinet, peut prévoir que le dentiste quittant le bureau ne pourra, pour une période de deux ans, travailler au sein d’un autre cabinet dentaire dans un rayon de cinq kilomètres du cabinet qui jusque-là l’employait. La distance de cinq kilomètres est considérée raisonnable en raison de divers facteurs, dont la population totale habitant à une distance raisonnable du cabinet dentaire, le nombre de patients actuels du cabinet habitant dans le rayon, et de la concurrence (faible ou élevée) fait par d’autre dentistes dans le même secteur.

Un dentiste associé quittant ce cabinet peut peut-être ouvrir une clinique dentaire à l’autre bout de la ville avec succès. Ou, en raison de la démographie, de la situation géographique et de la concurrence existante, avoir de la difficulté à trouver un endroit pour continuer à travailler dans la même ville.

Ceci peut sembler très acceptable pour certaines personnes, alors que pour d’autres, ce ne l’est pas du tout. Imaginons le cas d’une dentiste qui a grandi dans cette ville, y est établie avec sa famille et pour laquelle un déménagement serait cauchemardesque, ce qui peut fort bien s’avérer le cas, si on considère que le conjoint de la dentiste travaille dans la même ville et que les deux jeunes enfants vont à une bonne école…

Pour un jeune dentiste qui n’a pas encore d’enfants, cette situation est probablement acceptable : déménager n’est pas trop difficile. Mais quelle serait la situation si ce dentiste avait signé un contrat avec une société exploitant plusieurs cabinets dentaires ?

Dans bien des cas, il ne serait pas évident pour ce dentiste de continuer à travailler sans s’éloigner de sa demeure actuelle, et même de choisir un endroit lui plaisant pour y travailler. Si une société possède plusieurs cabinets, il est fort probable que ses contrats d’emploi stipulent qu’un dentiste quittant son emploi ne pourra lui faire concurrence dans un rayon de quelques kilomètres non seulement du cabinet au sein duquel le dentiste travaillait, mais aussi des autres établissements de la société! Le problème peut donc s’avérer bien plus complexe que prévu.

Certains se diront qu’un tribunal ne pourra que déclarer déraisonnable et donc non-applicable une clause de non-concurrence entraînant un préjudice sérieux pour un ex-employé, et que la question de signer ou non le contrat contenant une telle clause n’est donc pas importante.

Ils font gravement erreur.

La véritable question que les dentistes songeant à signer un contrat d’emploi doivent se poser n’est pas de savoir si un tribunal rendrait une décision à l’effet que la clause de non-concurrence est abusive, mais plutôt s’ils disposent du temps et de l’argent pour le découvrir éventuellement.

Le processus judiciaire est lent et coûteux. Seriez-vous prêts à consacrer des dizaines de milliers de dollars et des années pour obtenir une décision concernant votre droit de travailler à un certain endroit, sans savoir quelle sera la décision rendue?

Il faut aussi considérer que, si vous quittez malgré tout votre poste en désirant ouvrir un cabinet dans les environs, les institutions financières ne voudront probablement pas courir la chance de vous prêter les sommes requises pour acheter ou ouvrir votre cabinet dentaire au sein du territoire visé par la clause de non-concurrence, de peur de voir leur investissement à risque en cas de procédures judiciaires pouvant se terminer en faveur du dentiste qui vous employait.

Ceci n’est qu’un exemple à considérer.

Ne tentez pas d’analyser seul le contrat proposé et ses conséquences pour votre futur. L’Université ne vous a pas formé pour le faire. Je n’essaie pas de me soigner les dents moi-même.

Avant de conclure un contrat d’emploi, il faut prendre le temps de communiquer à votre avocat vos objectifs pour le futur, vos motivations, ce qui peut être acceptable, ce qui n’est pas négociable et pourquoi. Imaginez que vous désirez partir en voyage : si vous ne mentionnez pas de destination précise et vos motivations pour la choisir, un agent de voyage aura bien du mal à vous conseiller du mieux qu’il le peut. Dans ce cas-ci, le voyage est votre futur : donnez-donc à votre avocat toutes les informations nécessaires pour négocier les conditions qui vous feront arriver à votre destination de choix.

Jusqu’où voulez-vous aller?

Plus vous vous engagez dans le processus de négociation, en prenant le temps de communiquer avec votre avocat, plus vous obtiendrez de bons résultats. Concentrez-vous sur la situation, posez des questions et n’hésitez jamais à faire savoir ce qui compte le plus pour vous, et pourquoi vous devriez l’obtenir. Donnez un mandat clair à votre avocat qui ne pourra que mieux représenter vos intérêts particuliers.
Pour bien négocier votre rémunération : au-delà du salaire, des avantages, de l’horaire, il faut être réaliste, raisonnable. Il sera difficile (mais pas impossible, et peut-être bénéfique) de demander à un petit cabinet dentaire d’offrir des avantages sociaux en absence de programme existant. D’un autre côté, votre arrivée au sein du cabinet représente aussi une occasion d’en établir un. Il faut considérer le coût global pour l’employeur, en fonction du nombre d’employés, du programme désiré et aussi les retombées positives pour l’employeur qui pourrait voir la productivité s’améliorer, l’absentéisme diminuer, le moral des troupes remonter…

Donner un préavis de départ… Au bon moment!
Vous songez à ouvrir votre propre cabinet. Vous faites des recherches, et trouvez finalement un terrain pour y construire votre clinique de rêve, qui peut être construite rapidement… Vous vous demandez cependant quand donner votre préavis de départ à votre employeur actuel, bien que votre contrat d’emploi exige que vous préveniez de votre départ au moins 120 jours à l’avance…

Que faire?

Il faut examiner le contrat d’emploi, et aussi vos relations avec l’employeur. Mieux vaut, en théorie, respecter les termes du contrat, bien sûr. Mais il ne faut pas oublier qu’un employeur peut vous congédier immédiatement sans respecter la durée de 120 jours…Est-ce que vous serez alors payé pour les quatre longs mois restant avant d’ouvrir votre nouvelle clinique? Est-ce que votre contrat prévoit que vous serez payé pour les travaux effectués avant votre départ si vous quittez ou plutôt que vous ne recevrez plus de rémunération une fois parti? Est-ce que vous donnez un délai raisonnable à votre employeur pour vous remplacer sans lui causer des pertes financières importantes?

Mieux vaut ne donner de préavis de départ qu’une fois seulement que vous aurez un contrat signé en mains qui prévoit la date précise de l’ouverture de votre nouvelle clinique. Ne vous contentez pas de signer une simple lettre d’intention avant de donner votre préavis : ce document n’est qu’une étape préliminaire à la conclusion d’une entente finale.

Avez-vous documenté les sommes qui vous seraient payables? Avez-vous fait des copies des relevés quotidiens et rapports de production pour savoir combien d’argent votre employeur doit vous verser?

Ne perdez jamais de vue que la documentation relative à votre production vous servira à démontrer ce que vous êtes capables de faire aux institutions financières qui seront plus empressées de vous financer en voyant des preuves de votre performance.

Si l’employeur vous jette à la porte, et refuse de vous payer, pourrez-vous toujours financer votre projet ou comptiez-vous sur ces quatre mois de revenus pour payer certains frais?

Tous les cas sont différents. Cependant, tentez de préserver les bonnes relations avec votre futur ex-employeur, qui pourra un jour, qui sait, vous rendre service. Ou encore vous vendre son cabinet, pour étancher votre soif d’expansion.

Pensez-y et parlez-en à votre avocat!